La Constitution pose dans son article 1er les principes de l’indivisibilité de la République et de l’égalité de tous les Français devant la loi. A la suite de révision constitutionnelle du 28 mars 2003, elle prévoient en outre que son organisation est décentralisée.
Les dispositions du titre XII de la Constitution (article 72 et s.), intitulé Des collectivités territoriales, prévoit l’existence de plusieurs catégories de collectivités soumises à des statuts différents.
L’existence de plusieurs catégories de collectivités territoriales soumises à des régimes juridiques différents
L’article 72 de la Constitution dispose, dans son 1er alinéa, que : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d’une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa ».
Il en résulte l’existence de trois catégories de collectivités territoriales selon qu’elles relèvent seulement de l’article 72 ou des articles 73 et 74.
Les collectivités territoriales régies seulement par l’article 72 de la Constitution
Il s’agit des collectivités territoriales de métropole (communes, départements, régions, collectivités à statut particulier créées par la loi).
Si ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences (article 72, alinéa 3 de la Constitution), elles ne peuvent le faire que dans le respect des dispositions législatives et réglementaires qui régissent cet exercice. Elles peuvent toutefois, pour un objet et une durée limités, déroger à titre expérimental aux dispositions précitées lorsque la loi ou le règlement l’a prévu (article 72, alinéa 4 de la Constitution). Mais cette expérimentation n’est pas de nature à entraîner durablement une différenciation du régime juridique applicable à ces collectivités, dès lors qu’elle doit aboutir soit à une généralisation des mesures concernées à l’ensemble du territoire, soit à un retour au droit antérieurement applicable suite à son abandon (article L.O. 1113-6 du C.G.C.T.).
Seule la création d’une collectivité régie par la dernière phrase du premier alinéa de l’article 72 («Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d’une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa »), le cas échéant en lieu et place d’une ou plusieurs collectivités existantes, est de nature à permettre au législateur de prévoir un régime juridique distinct par rapport à celui applicable aux autres collectivités territoriales, dans le respect des autres principes à valeur constitutionnelle.
C’est ainsi que la ville de Paris (collectivité à statut particulier en vertu des articles L. 2512-1 et suivants du CGCT), et les communes de Marseille et Lyon se sont vues dotées d’une organisation spécifique, se traduisant essentiellement par une division en arrondissements gérés par des maires et des conseils d’arrondissements. De même, a été créée en lieu et place de la région une Collectivité Territoriale de Corse, avec des institutions sui generis (conseil exécutif responsable politiquement devant l’Assemblée de Corse) et des attributions plus étendues (notamment en matière de culture, d’enseignement, d’aménagement du territoire, de transports, de tourisme et d’environnement). Enfin, la métroploe de Lyon, collectivité à statut particulier, a été créée en lieu et place du département du Rhône et de la communauté urbaine de Lyon, sur le périmètre de cette dernière.
Mais, le législateur, quand il définit le régime de ce type de collectivités, est soumis au respect des autres principes à valeur constitutionnelle, et notamment au principe d’égalité, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision DC 2001-454 du 17 janvier 2002. En tout état de cause, ce régime ne saurait aller aussi loin que celui dont peuvent bénéficier les collectivités sises outre-mer en vertu des articles 73 et 74 de la Constitution.
Les collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution
Il s’agit des départements et régions de la Guadeloupe et de la Réunion, des collectivités uniques de Guyane et de Martinique depuis décembre 2015 et, depuis mars 2011 du département de Mayotte (article L.O. 3511-1 du CGCT.).
Si les lois et les règlements y sont applicables de plein droit, ces dispositions peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités (principe de l’identité législative institué lors de la départementalisation en 1946 et posé à l’article 73, alinéa 1er de la Constitution).
Depuis la révision de 2003, ces adaptations peuvent être décidées par les collectivités elles-mêmes, sur habilitation législative, soit dans les matières où s’exercent leurs compétences (article 73 alinéa 2 de la Constitution), soit dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi (article 73, alinéa 3 de la Constitution - cette dernière possibilité est toutefois exclue s’agissant de la Réunion par l’alinéa 5).
Ces collectivités peuvent faire l’objet de dispositions spécifiques quant à leur organisation (notamment institution d’une assemblée délibérante unique pour un département et une région d’outre-mer ou remplacement de ces deux collectivités par une collectivité unique, comme dans le cas de la Guyane et de la Martinique). Elles peuvent également être transformées en collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution. Dans tous les cas, ces modifications sont soumises au consentement des électeurs.
Les collectivités territoriales régies par l’article 74 de la Constitution
Il s’agit des collectivités d’outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles Walis et Futuna, de la Polynésie française et, depuis 2007, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. (La Nouvelle-Calédonie n’est pas une collectivité territoriale mais relève d’un régime constitutionnel qui lui est propre, fixé par le titre XIII de la Constitution).
Le statut de ces collectivités, fixé par une loi organique adoptée après avis de leur assemblée délibérante, est très variable d’une collectivité à l’autre et tient compte des intérêts propres de chacune d’entre elles au sein de la République.
En règle générale, elles relèvent du régime de spécialité législative : les lois et règlements ne s’y appliquent que sur mention expresse. Le statut fixe notamment les compétences de la collectivité, les règles d’organisation et de fonctionnement de ses institutions ainsi que le régime électoral de son assemblée délibérante.
Celles de ces collectivités qui sont dotées de l’autonomie (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon, Polynésie française) ont la compétence pour fixer des règles dans des domaines qui, en métropole, relèvent de la loi. Le statut peut également déterminer les conditions dans lesquelles :
- le Conseil d’Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certains actes de l’assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu’elle exerce dans le domaine de la loi ;
- l’assemblée délibérante peut, après saisine du Conseil Constitutionnel, modifier une loi promulguée postérieurement à l’entrée en vigueur du statut de la collectivité et intervenue dans le domaine de compétence de celle-ci ;
- la collectivité peut prendre en faveur de sa population des mesures justifiées par les nécessités locales, en matière d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ;
- la collectivité peut participer, sous le contrôle de l’Etat, à l’exercice des compétences qu’il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l’ensemble du territoire national pour l’exercice des libertés publiques.
Les collectivités d’outre-mer sont donc dotées du statut le plus dérogatoire possible par rapport au droit commun. Cependant, ces dérogations restent soumises à des limites qui visent à préserver l’existence des principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi, dès lors que ces collectivités, comme les autres, restent des parties intégrantes de la Nation.
Les limites posées par les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi sur l’intervention du législateur relative à l’organisation des collectivités locales
Ces limites se traduisent par l’absence de reconnaissance de toute souveraineté au niveau local, le respect obligatoire d’un certain nombre de règles auxquelles il ne peut jamais être dérogé et les contraintes qui accompagnent toute dérogation au principe d’égalité.
L’absence d’exercice de toute souveraineté au plan local
Il résulte du caractère indivisible de la République que la France est un Etat unitaire, et non point fédéral, quelle que soit la diversité des structures et des attributions des collectivités territoriales qui la compose. Ce que traduit l’article 72 de la Constitution lorsqu’il parle simplement de « libre administration » des collectivités territoriales, « dans les conditions prévues par la loi ».
Dès lors, les collectivités territoriales, quel que soit le régime auquel elles sont soumises, n’ont jamais la compétence première pour déterminer les règles qui leur sont applicables.
Leur statut est toujours déterminé soit par une loi ordinaire, soit par une loi organique prise par les autorités nationales, quand bien même elles seraient consultées sur le contenu de ce statut (cas des collectivités d’outre-mer), dans le respect des principes à valeur constitutionnelle. Le statut prévoit leurs compétences. Les communes disposent d’une clause de compétence générale. Cette clause de compétence générale n’autorise pas les collectivités à intervenir dans un domaine déjà attribué à une autre collectivité (Conseil d’Etat, 29 juin 2001, « Commune de Mons-en-Baroeul »).
Par ailleurs, une partie significative de leurs actes ne devient exécutoire qu’après avoir été transmise, au titre du contrôle de légalité, au représentant de l’Etat qui a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois (article 72, alinéa 6) et ces actes peuvent faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative, quelle que soit leur appellation (ex. : lois de pays de la Polynésie française qui relèvent du Conseil d’Etat).
Si, enfin, la Constitution prévoit la consultation des populations intéressées, facultative pour les collectivités de l’article 72 et obligatoire pour les D.O.M.-R.O.M. et collectivités d’outre-mer, sur l’évolution du statut de la collectivité dont elles relèvent, cette consultation ne saurait s’assimiler à un exercice direct par la population concernée de la souveraineté, compte tenu du caractère indivisible du peuple français et de l’objet territorialement limité de la consultation.
Le respect obligatoire d’un certain nombre de règles
Même lorsque la Constitution autorise, dans le cadre des articles 73 ou 74 ou d’une expérimentation prévue par l’article 72 alinéa 4, une collectivité à déroger aux règles qui lui sont normalement applicables ou à exercer des compétences qui relèvent en principe de l’Etat, c’est toujours sous réserve des conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti.
Par ailleurs, un certain nombre de matières régaliennes telles que la nationalité, les droits civiques, le droit électoral, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes sont toujours exclues des compétences susceptibles d’être exercées ou transférées aux collectivités territoriales (articles 73, alinéa 4 et 74, alinéa 4 de la Constitution).
L’impossibilité pour les collectivités territoriales de déroger à ces règles constitue une conséquence du principe d’indivisibilité de la République, lequel implique l’application uniforme sur l’ensemble du territoire des normes essentielles pour la préservation du caractère unitaire de l’Etat.
Le respect des contraintes liées au principe constitutionnel d’égalité
Hormis les hypothèses où la Constitution permet expressément de déroger, à ce principe (expérimentations des articles 37-1 et 72, alinéa 4 ou mesures justifiées par les nécessités locales mentionnées à l’article 74, alinéa 10), tant les collectivités territoriales que le législateur sont tenus de respecter les jurisprudences du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel relatives au principe d’égalité.
Le principe d’égalité implique que toutes les personnes placées dans une situation identique soient régies par les mêmes règles, mais n’interdit pas aux autorités législatives et réglementaires de régler de façon différente des situations différentes, ni de déroger à ce principe pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans les deux cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi ou du règlement qui l’établit.
Ce principe trouve d’abord à s’appliquer entre collectivités appartenant à une même catégorie, sachant qu’il est loisible au législateur de créer, en vertu de l’article 72 de la Constitution, « une nouvelle catégorie de collectivité locale, même ne comprenant qu’une seule unité, et [de] la [doter] d’un statut spécifique » (C.C., décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 rendue à propos de la collectivité territoriale de Corse).
Le Conseil Constitutionnel considère que ce principe est également susceptible de s’appliquer entre collectivités territoriales de catégories différentes si l’objet de la loi et leur situation de fait ne justifie pas la différence de traitement opérée entre elles (décision n° 2004-503 DC du 12 août 2004, « loi relative aux libertés et responsabilités locales », à propos du transfert aux départements et aux régions des personnels techniciens, ouvriers et de service des établissements scolaires qui ne saurait être retardée pour les D.O.M.-R.O.M. afin de tenir compte de leurs « caractéristiques et contraintes particulières », dès lors que la situation des établissements scolaires dans ces collectivités n’est pas fondamentalement différente de celle des établissements situés en métropole ; décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009, « loi sur le repos dominical » : le fait que la ville de Paris, soumise à un régime particulier en raison de sa qualité de siège des pouvoirs publics, constitue, à elle seule, une catégorie de collectivités territoriales, ne justifie pas, en l’absence de différence de situation avec les autres communes, que le pouvoir de proposition de classement de la commune en zone touristique ne soit pas confié à son maire mais au conseil de Paris).
Il en résulte que toute dérogation à ce principe, qu’elle intervienne entre collectivités appartenant à une même catégorie ou non, devrait être fondée sur des considérations objectives en rapport avec l’objet de la loi qui la prévoit afin d’être validée par le Conseil Constitutionnel.