La responsabilité pénale des élus pour faits commis dans l’exercice de leurs fonctions résulte de plusieurs textes, notamment des articles L.432-1 et suivants du code pénal.
Article 121-3 du code pénal |
Mise en danger délibérée de la personne d’autrui |
Article 432-10 du code pénal |
Concussion |
Article 432-11 du code pénal |
Corruption et trafic d’influence |
Article 432-12 du code pénal |
Prise illégale d’intérêt |
Article 432-14 du code pénal |
Délit de favoritisme |
Faux |
Diverses dispositions sont intervenues en matière de responsabilité pour les infractions non intentionnelles, en particulier :
- la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour faits d’imprudence et de négligence ;
- la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la notion de délit non intentionnel. Cette loi a complété l’article 121-3 du code pénal par une disposition exigeant désormais une « faute caractérisée » en cas de causalité indirecte entre la faute et le dommage.
En l’état actuel du droit, l’engagement de la responsabilité pénale des élus suppose ainsi le constat :
- soit d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement
- soit d’une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité ne pouvant être ignorée
Pour apprécier la gravité de la faute, le juge pénal examine si l’élu a accompli « les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie » (articles 121-3 du code pénal, L. 2123-34 du CGCT, L. 3123-28 du CGCT, L. 4135-28 du CGCT).
Pour déterminer l’existence d’une faute caractérisée, la Cour de Cassation examine le degré de connaissance du risque par l’élu (Cour de cassation, 4 juin 2002, n° 01-81280 ; 18 mars 2003, n° 02-83523 ; 2 décembre 2003, n° 03-83008 ; 22 janvier 2008, n° 07-83877).
Le juge pénal apprécie in concreto si le maire a accompli les diligences normales (Cour de cassation, 18 juin 2002, n° 01-86539), le degré de gravité de la faute et son lien avec le dommage (CA Chambéry, 14 juin 2007, n° 06-00245).
Quelles sont les trois grands types de délits intentionnels commis par des personnes exerçant une fonction publique visés par le code pénal ?
- Les abus d’autorité dirigés contre l’administration, par l’édiction de mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi ;
- Les abus d’autorité dirigés contre des particuliers tels que les atteintes à la liberté individuelle, les discriminations, les atteintes à l’inviolabilité du domicile ;
- Les manquements au devoir de probité tels que la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, le délit de favoritisme.
Qu'est-ce que le délit de favoritisme ?
C'est le fait de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. Le délit de favoritisme est sanctionné par deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Quels sont les éléments nécessaires à la constitution du délit de favoritisme ?
La loi définit les éléments nécessaires pour constituer un délit de favoritisme. Ces éléments sont relatifs à l’auteur de la procédure, à l’avantage injustifié donné à autrui et à la présence d’un acte contraire aux règles de la commande publique.
Les personnes susceptibles de commettre un délit de favoritisme
L’article 432-14 du code pénal vise trois catégories de personnes : les agents publics, les personnes chargées d’un mandat électif public et les personnes publics ou privées, agissant pour le compte d’une personne publique dans le cadre d’un marché public. Cette liste n’est pas exhaustive et permet d’inclure toute personne qui intervient à n’importe quel moment de la procédure sous n’importe quelle forme que ce soit et qui exerce une influence sur le choix de l’attributaire du marché.
Ainsi, sont notamment concernés par ce délit, la personne responsable du marché ou son représentant, les membres des commissions d’appel d’offres ou des commissions de travaux, les membres des services techniques d’une collectivité, les maîtres d’œuvre. A titre d’exemple, peuvent être condamnés pour délit de favoritisme le coordinateur d’un groupement de commandes (Cour de cassation, 7 avril 2204, n° 03-84191) ou « le secrétaire général d’une commune, agissant en qualité de représentant ou agent d’une collectivité territoriale, qui a le pouvoir d’intervenir dans une procédure d’attribution de marchés, en vue de préparer ou de proposer les décisions prises par d’autres » (Cour de cassation, 20 avril 2005, n° 04-83017)
La présence d'un avantage injustifié
L’avantage injustifié peut prendre la forme d’un acte matériel, administratif ou juridique (information privilégiée, publicité réduite du marché, clause technique « sur mesure »..) constitutif d’une rupture du principe d’égalité devant la commande publique. Cet avantage injustifié doit être procuré par un acte irrégulier qui peut être un acte volontaire. Il existe dans ce cas une intention frauduleuse. L’intention se déduit du manquement que l’auteur n’a pu ignorer et qui permet de dire qu’il a agi en pleine connaissance de cause.
En ce qui concerne l’élément matériel du délit, la chambre criminelle de la Cour de Cassation interprète de manière restrictive la notion de « contrats à prestations intégrées » permettant de s’exonérer des règles de mise en concurrence prévues par le code des marchés publics. Ainsi, un maire qui a attribué sans mise en concurrence le marché relatif à la création et à la réalisation d’un bulletin municipal à une société d’économie mixte locale a été jugé coupable de délit de favoritisme. Le marché en question ne peut pas être qualifié de contrat à prestations intégrées dans la mesure où une société d’économie mixte n’est pas soumise de la part de la commune à un contrôle comparable à celui qu’elle exerce sur ses propres services (Cour de cassation, 25 juin 2008, pourvoi n° 07-88373).
Il en va de même lorsqu’un marché est attribué sans publicité ni mise en concurrence par une association dite transparente, c’est-à-dire une personne privée créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement, tout en lui apportant l’essentiel de ses ressources ; cette personne privée est alors considérée comme un démembrement de la personne publique et ainsi soumise au code des marchés publics (Cour de cassation, 7 novembre 2012, pourvoi n° 11-82961).
En ce qui concerne l’élément intentionnel du délit de favoritisme, la Cour de cassation estime que « la seule constatation de la violation, en connaissance de cause, d’une prescription légale ou réglementaire, implique de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article L. 121-3 du code pénal (Cour de cassation, 15 septembre 1999, 98-87588 ; 24 octobre 2001, 01-81039 ; 14 janvier 2004, n° 03-83396). L’intention se déduit du manquement que l’auteur n’a pu ignorer et qui permet de constater qu’il a agi en pleine connaissance de cause.
Le juge estime qu’il est des fonctions où l’ignorance n’est pas admissible : un maire ne peut se réfugier derrière la méconnaissance de la procédure d’appel d’offre (Cour de cassation, 15 septembre 1999, 98-87588 ; 24 octobre 2001, 01-81089 ; 8 mars 2006, n° 05-85276).
Un même fait peut être constitutif à la fois d’un délit de favoritisme et d’un autre délit, notamment lorsque la personne responsable du marché bénéficie d’un avantage pouvant relever de la prise illégale d’intérêt (article 432-12 du code pénal) ou de la corruption (article 433-1 du code pénal). Dans un arrêt du 29 juin 2011 (n° 10-87498), la chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet confirmé la condamnation pour délit de favoritisme et prise illégale d’intérêts d’un maire qui avait signé un avenant à un marché public de dragage d’un port en vue de réaliser des travaux supplémentaires, à la demande d’un autre élu, pour permettre au bateau d’un membre de la famille de ce dernier d’accéder au port. La violation des dispositions du code des marchés publics ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats (signature par le maire d’un avenant sans intervention de la CAO) est à l’origine d’un avantage injustifié et caractérise le délit de favoritisme. Les mêmes faits caractérisent également une prise illégale d’intérêts dans la mesure où ils ne favorisent pas seulement l’opérateur bénéficiaire du marché mais également l’élu.
Qu'est-ce que la prise illégale d'intérêt ?
C'est le fait, pour une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. Ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Comment apprécier l'élément intentionnel en ce qui concerne la prise illégale d'intérêt ?
Selon l’article 432-12 du code pénal, la prise illégale d’intérêt est le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. Le délit de prise illégale d’intérêt est sanctionné par cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Ainsi la prise illégale d’intérêt s’applique à tous types d’actes engageant une personne morale de droit public.
La prise illégale d’intérêt n’exige pas, pour que le délit soit constitué, une intention frauduleuse. L’élément intentionnel du délit est caractérisé dès lors que l’auteur a accompli sciemment l’élément matériel du délit (Cour de cassation, 27 novembre 2002, n° 02-81581 ; 9 février 2011, n° 10-82988 ; 23 février 2011, n° 10-82880).
Peu importe que la personne visée à l’article 432-12 du code pénal, et donc notamment l’élu, ait ou non recherché à s’enrichir personnellement. La décision prise par l’élu ne doit en aucun cas être suspectée de partialité L’intérêt pris par le prévenu n’est pas nécessairement en contradiction avec l’intérêt général (Cour de cassation, 19 mars 2008, n° 07-84288). Dans cette dernière décision, la Cour de cassation rappelait que l’infraction était constituée quand bien même les prévenus (un maire, des maires adjoints et des conseillers municipaux) n’avaient retiré de l’opération prohibée un quelconque profit et quand bien même la collectivité n’avait subi un quelconque préjudice, « le dol général caractérisant l’élément moral du délit résulte de ce que l’acte a été accompli sciemment ».Ainsi, une sanction pour prise illégale d’intérêt peut être prononcée malgré l’absence d’enrichissement personnel des élus. Il s’agit notamment des cas de subventions accordés par des élus à des associations qu’ils président (Cour de Cassation, 22 octobre 2008, 08-82.068).
Quelles dérogations existent en ce qui concerne la prise illégale d'intérêt ?
Les alinéas 2 à 5 de l’article 432-12 du code pénal prévoient des dérogations pour les communes de 3 500 habitants au plus :
« Dans les communes comptant 3 500 habitants au plus, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d'un montant annuel fixé à 16 000 euros.
En outre, dans ces communes, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent acquérir une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement. Ces actes doivent être autorisés, après estimation des biens concernés par le service des domaines, par une délibération motivée du conseil municipal.
Dans les mêmes communes, les mêmes élus peuvent acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Le prix ne peut être inférieur à l'évaluation du service des domaines. L'acte doit être autorisé, quelle que soit la valeur des biens concernés, par une délibération motivée du conseil municipal.
Pour l'application des trois alinéas qui précèdent, la commune est représentée dans les conditions prévues par l'article L. 2122-26 du code général des collectivités territoriales et le maire, l'adjoint ou le conseiller municipal intéressé doit s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l'approbation du contrat. En outre, par dérogation au deuxième alinéa de l'article L. 2121-18 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal ne peut décider de se réunir à huis clos ».