L’appropriation des immeubles sans maître constitue un mode d’acquisition de la propriété exorbitant du droit commun (le régime des biens sans maître a été modifié en 2014 par la loi ALUR et par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale dite « loi 3DS » [cf. art. 98 et 99]).
Le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) précise, dans le contexte de la dévolution des biens sans maître aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont elles sont membres, leur définition (art. L. 1123-1 du CG3P) et les modalités de la procédure d’appréhension des biens «présumés » sans maître (art. L. 1123-3 du CG3P).
Au plan formel, les prescriptions relatives aux biens sans maître sont scindées :
- Celles qui concernent la définition et les modalités d’acquisition des biens sans maître sont intégrées dans la première partie du code relative aux acquisitions des biens (art. L. 1123-1 à L. 1123-3) ;
- Celles qui régissent la restitution des immeubles sans maître figurent dans la deuxième partie consacrée à la gestion des biens du domaine privé (art. L. 2222-20).
Les biens sans maître appartiennent aux communes sur le territoire desquelles ils sont situés. Toutefois, la commune peut, par délibération du conseil municipal, renoncer à exercer ses droits sur tout ou partie de son territoire au profit de l'EPCI à fiscalité propre dont elle est membre (art. 713 du Code civil modifié par la loi ALUR, la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et la loi 3DS).
Si la commune ou l'EPCI renonce à exercer ses droits, la propriété est transférée de plein droit :
- pour les biens situés dans les zones définies à l'article L. 322-1 du code de l'environnement, au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL) lorsqu'il en fait la demande ou, à défaut, au conservatoire régional d'espaces naturels (CREN) agréé au titre de l'article L. 414-11 du même code lorsqu'il en fait la demande ou, à défaut, à l'État ;
- pour les autres biens, après accord du représentant de l’État dans la région, au CREN agréé au titre de l’article L. 414-11 lorsqu’il en fait la demande ou, à défaut, à l'État.
Sommaire :
- La définition des biens sans maître
- Définition des articles L. 1123-1 et R. 1123-1 du CG3P
- Les biens faisant partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans ou dix ans selon les cas et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté
- Les immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels les taxes foncières n’ont pas été acquittées depuis plus de trois ans ou ont été acquittées par un tiers
- Les modalités d’acquisition des biens sans maître
- Les modalités de revendication des immeubles sans maître
- Procédure d'acquisition des biens présumés sans maître
La définition des biens sans maître
Définition des articles L. 1123-1 et R. 1123-1 du CG3P
A l'exception des successions en déshérence pour lesquelles l’État a été envoyé en possession (art. L. 1122-1 du CG3P), sont considérés comme n’ayant pas de maître :
- les biens immobiliers faisant partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté.
Toutefois, depuis le 23 février 2022, pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007 et non encore partagées (IV de l’article 98 de la loi 3DS), ce délai est ramené à dix ans lorsque les biens se situent :
- dans le périmètre d’une grande opération d’urbanisme au sens de l’article L. 312-3 du code de l’urbanisme ou d’une opération de revitalisation de territoire au sens de l’article L. 303-2 du code de la construction et de l’habitation ;
- ou, dans une zone de revitalisation rurale au sens de l’article 1456 A du code général des impôts ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville au sens de l’article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine ;
- les immeubles n'ayant pas de propriétaire connu et pour lesquels, depuis plus de trois ans, les taxes foncières (sur les propriétés bâties ou non bâties) n'ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers.
Cette définition consacre désormais l’existence de deux catégories de biens sans maître contre trois précédemment, la loi 3DS ayant supprimé le critère de distinction que constituait l’assujettissement de l’immeuble, selon le cas, à la taxe foncière sur les propriétés bâties ou à la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Les biens faisant partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans ou dix ans selon les cas (cf. supra) et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté
L’article L. 1123-1 du CG3P classe ces biens dans la catégorie des biens sans maître (art. L. 1123-1 1° du CG3P ; Cour de cassation, 22 mai 1970, civ. 1, 68-12.797, service des domaines c/ Toe).
Ils ne se confondent pas avec les biens dépendant d’une succession en déshérence en application de l’article L. 1122-1 du CG3P, lesquels appartiennent à l’État et, par conséquent, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une appropriation par les communes ou les EPCI.
Seul l’État peut prétendre aux successions des personnes qui décèdent sans héritier et aux successions abandonnées (articles 539 et 811 du Code civil). Celles-ci consistent en une universalité de patrimoine et non en un bien immobilier isolé ; elles proviennent de personnes décédées sans héritiers au degré successible et sans avoir consenti de legs universels. Elles appartiennent à l’État en vertu de son droit de souveraineté, quelle que soit la date du décès des personnes considérées. Ces successions sont appréhendées par l’État selon les modalités fixées à l’article 811 du code civil et à l’article 1354 du code de procédure civile.
En revanche, les biens immobiliers individualisés, qui font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans, ou dix ans, (cf. supra) et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté constituent des biens sans maître proprement dits. Par détermination de la loi, ils appartiennent aux communes/EPCI ou, en cas de renonciation de ceux-ci, au CELRL ou au CREN ou bien à l’État (articles 713 du code civil et L. 1123-2 du CG3P).
Cette catégorie de biens comprend, en pratique, les biens immobiliers dont le propriétaire, identifié, est décédé depuis plus de trente ans ou dix ans selon les cas, sans héritier, ou en laissant des héritiers n’ayant pas accepté la succession, expressément ou tacitement, pendant cette période.
Le décès (ou l’absence qui produit les mêmes effets que le décès en application de l’article 128 du code civil) doit être établi avec certitude pour que la commune ou l'EPCI puisse faire valoir ses droits à l’égard du bien concerné.
De même, les biens immobiliers individualisés des personnes qui sont décédées depuis moins de trente ans ou dix ans selon les cas, sans héritier ni légataire universel ou dont les héritiers ont refusé la succession, ne peuvent appartenir aux communes/EPCI. Au-delà de cette période de trente ans à compter du décès ou dix ans selon les cas, ces biens immobiliers peuvent être acquis par les communes/EPCI au titre des biens sans maître (articles L. 1123-1 2° et L. 1123-3 du CG3P).
Les immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels les taxes foncières n’ont pas été acquittées depuis plus de trois ans ou ont été acquittées par un tiers
Rappel : la loi 3DS a mis un terme à la distinction entre immeubles soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et immeubles soumis à la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
1e condition : Le propriétaire de l’immeuble ne doit pas être connu.
Il s’agit :
- des situations dans lesquelles, pour un immeuble déterminé, il n’existe aucun titre de propriété publié au fichier immobilier des services de la publicité foncière ou au livre foncier ni aucun document cadastral susceptible d’apporter des renseignements quant à l’identité du propriétaire ;
- des biens immobiliers ayant appartenu à une personne connue qui a disparu sans laisser de représentant identifié, et qui ne sont devenus la propriété d’aucune autre personne.
2e condition : Les taxes foncières n’ont pas été acquittées depuis plus de trois années ou ont été acquittées par un tiers.
La commune/l'EPCI ou à défaut le CELRL/le CREN/l’Etat, ne peut appréhender les immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu que lorsque les taxes foncières afférentes à l’immeuble n’ont pas été payées ou ont été payées par un tiers soucieux de pérenniser une situation de fait, en lieu et place de leur débiteur inconnu.
Cet item concerne les immeubles soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et ceux soumis à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dont notamment les bois et forêts sans maître.
Ces dispositions ne font pas obstacle à l’application des règles du droit civil relatives à la prescription.
Les modalités d’acquisition des biens sans maître
S’agissant des modalités d’acquisition de ces biens par les personnes publiques éligibles, une distinction d’ordre procédural est maintenue entre les deux catégories de biens n’ayant pas de maître.
En application des articles L. 1123-2 et L. 1123-3, les biens sans maître sont acquis par la commune ou l'EPCI, ou le CELRL, le CREN ou l’État, soit de plein droit, soit au moyen d’une procédure spécifique (articles 713 du Code civil et L. 1123-2 du CG3P).
A l’issue de l’enquête permettant de s’assurer que le bien qu’elle se propose d’appréhender est effectivement sans maître, la commune ou l'EPCI doit déterminer la procédure à mettre en œuvre pour incorporer le bien dans son domaine.
Acquisition de plein droit des immeubles sans maître « proprement dits »
Le principe est celui de l’acquisition de plein droit par les communes/EPCI ou, à défaut, par le CELRL, le CREN ou l’Etat.
Cependant, ce régime d'appropriation est cantonné aux biens mentionnés au 1° de l’article L. 1123-1, c’est-à-dire à ceux qui font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans, ou dix ans le cas échéant, et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté.
La loi ne prévoit aucune formalité particulière pour l’appréhension de cette catégorie de biens.
En pratique toutefois, dans le cas d’un transfert du bien dans le domaine de l’Etat, il sera recouru à un arrêté préfectoral pour constater ce transfert.
S’agissant des communes, des ECPI, du CELRL ou des CREN, il paraît prudent, afin d’éviter toute difficulté ultérieure, que ces collectivités et établissements prennent une délibération permettant de formaliser l'acquisition envisagée.
Acquisition selon les modalités prévues à l’article L. 1123-3 du CG3P des immeubles présumés sans maître
Champ d’application de l’article L. 1123-3
Il est constitué des immeubles pour lesquels, depuis plus de trois ans, les taxes foncières ont été acquittées par un tiers ou n’ont pas été acquittées, soit parce qu’elles font l’objet d’une exonération, soit parce que la cotisation due est inférieure au seuil de mise en recouvrement (art. L. 1123-3).
Ainsi, le paiement des taxes foncières par un tiers ne peut pas faire obstacle au déclenchement de la procédure de constatation de la vacance.
Mise en œuvre de la procédure d’acquisition
Procédure poursuivie par la commune ou l'EPCI
La procédure d’appréhension comporte deux phases. La commune ou l'EPCI doit d’abord constater que le bien est présumé sans maître (avis de la commission communale/intercommunale des impôts directs, arrêté du maire ou du président de l'EPCI constatant l’absence de propriétaire connu et de paiement des contributions foncières ou leur paiement par un tiers et accomplissement des mesures de publication et d’affichage de l’arrêté) (article L. 1123-3 al. 2).
Compte tenu du champ d’application étendu de la procédure, cet arrêté du maire ou du président de l'EPCI doit être notifié, non seulement au dernier propriétaire connu et à l’habitant ou l’exploitant, mais aussi, s’il y a lieu, au tiers qui a acquitté les taxes foncières.
Il est également notifié au représentant de l’Etat dans le département.
Puis, si aucun propriétaire ne s’est fait connaître dans un délai de six mois après l’accomplissement de la dernière des mesures de publicité, l’immeuble étant présumé sans maître, une délibération du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'EPCI peut décider de son incorporation dans son domaine et un arrêté du maire ou du président de l'EPCI le constate par suite (article L. 1123-3 al. 4).
L'administration fiscale transmet au maire ou au président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, à leur demande, les informations nécessaires à la mise en œuvre de la procédure d’acquisition par ces derniers (art. L. 1123-3-II).
Procédure poursuivie par le CELRL, le CREN ou l’État
A défaut de délibération portant incorporation dans le domaine communal ou de l'EPCI prise dans le délai de 6 mois à compter de la date à laquelle il a été constaté que le bien est présumé sans maître, la propriété du bien est attribuée au CELRL ou au CREN ou à défaut à l’Etat et son transfert dans le domaine de ces personnes est constaté par une décision de l'établissement, ou un arrêté préfectoral qui est publié au fichier immobilier (’article L. 1123-3 al. 5).
Les bois et forêts acquis dans les conditions de l’article L. 1123-3 sont soumis au régime forestier prévu à l'article L. 211-1 du code forestier à l'expiration d'un délai de 5 ans à compter soit de son incorporation dans le domaine communal, soit de son transfert dans le domaine de l'Etat. Avant l’expiration de ce délai, il peut être procédé à toute opération foncière.
Les modalités de revendication des immeubles sans maître
En application du droit commun, dans le cas où le propriétaire initial du bien ou ses ayants droit se manifesteraient postérieurement à la date d’acquisition de ce bien par une personne publique, dans les limites de la prescription trentenaire, celle-ci a l’obligation de le restituer.
Toutefois, dans certaines situations, par exception à ce principe, le droit du propriétaire ou de l’ayant-droit à exiger la restitution en nature du bien peut être aménagé si le bien a été aliéné ou utilisé d’une manière ne permettant pas cette restitution (par exemple, immeuble utilisé par un service de l’État ou un établissement public national).
Tel est le cas :
- lorsque les biens ont été acquis à l’issue de la procédure prévue à l’article L. 1123-3 ;
- depuis l’entrée en vigueur de la loi 3DS, lorsque les immeubles ont été acquis de plein droit par les communes ou un EPCI, ou par l'État, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ou le conservatoire régional d'espaces naturels en cas de succession ouverte depuis moins de trente ans.
Le demandeur ne peut, dans ces deux situations, obtenir que le paiement d’une indemnité représentant la valeur de l’immeuble au jour de l’acte d’aliénation ou, le cas échéant, de la mise à disposition du service ou de l’établissement public utilisateur.
A défaut d’accord amiable, l’indemnité est fixée par le juge compétent en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique (art. L. 2222-20).
La restitution du bien ou le paiement de l’indemnité est subordonné au paiement par le propriétaire ou ses ayants droit du montant :
- des charges qu’ils ont éludées depuis le point de départ du délai de trois ans fixé à l'article L. 1123-3 (taxes foncières, par exemple) ;
- des dépenses engagées par la commune/l'EPCI, ou le CELRL/le CREN/l’Etat au titre de la conservation du bien.
Pour mémoire, les articles L. 1123-3 et L. 2222-20 du CG3P ne sont applicables qu’aux immeubles à l’égard desquels la décision de constatation de vacance est intervenue postérieurement au 1er juillet 2006 (II de l’article 11 de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006).
Procédure d'acquisition des biens présumés sans maître
L’article L. 1123-3 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit désormais que l'administration fiscale transmet au maire ou au président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, à leur demande, les informations nécessaires à la mise en œuvre de la procédure d'acquisition des biens présumés sans maître, bâtis ou non bâtis.
Afin d’obtenir ces informations, la commune ou l’EPCI est invité à transmettre sa demande, à l’aide du formulaire ci-dessous, à la direction départementale des finances publiques de son département (pôle de gestion fiscale).
Le formulaire devra être complété des références cadastrales et de l’adresse du bien, de la nature bâtie ou non bâtie du bien et éventuellement de l’identité du propriétaire et de son numéro de compte communal.