À l’occasion d’un contentieux opposant la société ERdF et la commune de Douai (59) sur la qualification des biens entrant dans le champ de la délégation de service public, le Conseil d’Etat a précisé l’ensemble des principes applicables à l’ensemble des biens visés par ce type de contrat dans une décision d’Assemblée du 21 décembre 2012 (CE Ass 21 décembre 2012, Commune de Douai, req. n° 342788).
Par ailleurs, le juge a précisé que le délégataire est tenu de fournir à la collectivité délégante toute information utile sur les biens de la délégation, afin de lui permettre d’exercer son contrôle sur le service public concédé. Il est donc tenu de transmettre au délégant, à sa demande, un inventaire des biens de la délégation (précisant leur valeur brute, leur valeur nette comptable et leur valeur de remplacement).
Le Conseil d’État procède à une clarification de la définition du régime des biens nécessaires au fonctionnement du service public
Le Conseil d’État s’attache en premier lieu à définir la nature et le régime des biens inclus dans le périmètre de la délégation de service public. Il précise à cette occasion qu’il appartient au juge administratif, lorsqu’il examine de tels contrats, de qualifier la totalité de ces biens et pas seulement ceux nécessaires au fonctionnement du service public.
Le régime de propriété applicable aux biens nécessaires au fonctionnement du service public au cours de l’exécution du contrat :
Lorsque le contrat est en cours d’exécution, le Conseil d’État opère une distinction entre trois cas de figure concernant la propriété des biens nécessaires au fonctionnement du service public.
Cas de figure n° 1 : dans le silence de la convention, les biens appartiennent dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique.
Cas de figure n° 2 : les ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public établis sur la propriété d’une personne publique relèvent du régime de la domanialité publique, indépendamment de l’intention des parties. Ceux-ci peuvent donc seulement s’accorder sur la constitution de droits réels sur ces ouvrages, dans les limites définies par le code général de la propriété des personnes publiques (articles L. 2122-6 à L. 2122-14) ou le code général des collectivités territoriales (articles L. 1311-2 à L. 1311-8). Néanmoins, dans la mesure où ces droits réels s’inscrivent dans le cadre de la délégation d’un service public, ils ne doivent pas affecter la continuité de ce service public.
Cas de figure n° 3 : les ouvrages nécessaires au service public qui ne sont pas réalisés sur la propriété d’une personne publique peuvent être laissés en pleine propriété au cocontractant ou être grevés de droits réels ; la continuité du service public doit néanmoins être garantie par certaines clauses du contrat, telles que la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession de ces biens ou de ces droits réels.
Les autres biens, dès lors qu’ils ne sont pas indispensables au fonctionnement du service public, sont en principe la propriété du délégataire, sauf clause contraire du contrat.
Quel que soit le régime de propriété qui ait été applicable en cours d’exécution du contrat, tous les biens nécessaires au fonctionnement du service public restent ou intègrent la propriété de la personne publique à l’expiration de la convention.
Dans la lignée de son avis du 19 avril 2005 sur les remontées mécaniques (avis n° 371.234), le Conseil d’État réaffirme en effet le principe selon lequel dans une délégation de service public, les biens nécessaires au fonctionnement du service public constituent des biens de retour.
Cela implique qu’à l’expiration de la convention, ces biens, d’une part, reviennent dans la propriété de l’autorité délégante et, d’autre part, « font nécessairement retour à [l’autorité délégante] gratuitement » (considérant 6), sous réserve qu’ils aient été amortis au cours de l’exécution du contrat. Le juge administratif confirme ici que dès lors que les biens sont nécessaires au fonctionnement du service public, ils relèvent obligatoirement de la catégorie des biens de retour ; aucune convention ne peut y déroger.
Le juge précise les conditions de retour des biens à l’expiration de la convention
Le Conseil d’État pose le principe du caractère gratuit du retour des biens à la personne publique en fin de délégation :
- les biens dont la personne publique est propriétaire et qui ont été amortis font retour gratuitement à la personne publique ;
- il en va de même pour les biens nécessaires au service public et qui sont grevés de droits réels ou dont la propriété a été accordée au concessionnaire.
Les parties peuvent néanmoins convenir de dispositions permettant à la personne publique de reprendre les biens appartenant au délégataire et qui ne sont pas nécessaires au fonctionnement du service public, moyennant un prix ou gratuitement.
Enfin, le contrat peut prévoir des dispositions permettant à la personne publique de faire reprendre au délégataire les ouvrages qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public.
Les conditions d’indemnisation du cocontractant sont confirmées
Le Conseil d’État rappelle enfin les conditions dans lesquelles le délégataire est fondé à demander une indemnisation en cas de résiliation anticipée par la personne publique :
- le fondement de cette indemnisation résulte du préjudice subi lié au retour anticipé des biens nécessaires au service public.
- l’indemnité au titre des investissements n’est due que si les biens n’ont pas pu être amortis au titre de la période d’exécution du contrat.
Deux cas de figure sont à distinguer pour les investissements en fonction de la durée d’amortissement :
- lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à la valeur nette comptable inscrite au bilan.
- lorsque leur durée d’utilisation est supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement des biens sur la durée du contrat.
Par ailleurs, le Conseil d’État réaffirme et précise le principe selon lequel les parties ne peuvent convenir d’une indemnité qui serait supérieure à la valeur nette comptable des investissements réalisés (CE 4 juillet 2012 Communauté d’agglomération de Chartres métropole).
Ainsi, le Conseil d’État adopte ici une position de principe favorable aux collectivités territoriales, en protégeant les biens nécessaires au service public. Il préserve néanmoins également l’efficacité de la commande publique, en conférant au délégataire des droits réels sur les biens nécessaires au fonctionnement du service public pour l’exécution du contrat.