Édition du 5 décembre 2016

 

 
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créer une commune nouvelle : le retour d'expérience de cherbourg-en-cotentin

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Entretiens croisés
Cherbourg-en-Cotentin, fruit d'une mobilisation exceptionnelle

De gauche à droite : Guillaume WERNERT, Laure LETOUZE, Franck DUVAL

Presqu'un an après la naissance de la commune nouvelle de Cherbourg-en-Cotentin (1er janvier 2016), Collectivites-Locales a pu s'entretenir avec trois des acteurs majeurs de ce projet d'envergure :

Franck Duval, Directeur général adjoint aux finances et à l’achat public de Cherbourg-en-Cotentin

Laure Letouzé, comptable publique et responsable de la trésorerie de Cherbourg Municipale

Guillaume Wernert, responsable du pôle Gestion publique de la Direction Départementale des Finances Publiques de la Manche

C'est l'occasion de revenir avec eux sur cette expérience, et sur le bilan qu'ils en font à l'approche du premier anniversaire de Cherbourg-en-Cotentin.

CHERBOURG-EN-COTENTIN : L'ESSENTIEL
  • Union de cinq communes et un EPCI : Cherbourg-Octeville, La Glacerie, Tourlaville, Equeurdreville-Hainneville, Querqueville, Communauté Urbaine de Cherbourg (regroupant ces mêmes communes)
  • Plus de 83 000 habitants
  • 70 km² de territoire
  • 4ème commune de la Normandie unifiée
  • 163 conseillers municipaux

Collectivites-Locales : Cherbourg-en-Cotentin est un projet d'ampleur (voir notre encadré). Dans quel contexte s'est-il déroulé ?

Franck Duval : La Communauté Urbaine de Cherbourg (CUC) a été créée en 1971. C'est donc plus de 45 ans d'expérience d'intercommunalité bien intégrée que nous avons derrière nous !
Le sujet du « Grand Cherbourg » a toujours été un sujet de discussion sur l’agglomération, avec comme point d’orgue la réunion des communes de Cherbourg et Octeville en 2000 suite à un référundum organisé sur les cinq villes de l’agglomération. Les choses se sont accélérées avec la loi du 16 mars 2015, qui a notamment permis aux communes nouvelles créées sur le périmètre d'EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale) à fiscalité propre existants d’obtenir un avantage financier, en n'étant pas soumises au prélèvement de DGF pendant trois ans.
Mais surtout, la commune nouvelle est une structure qui respecte les communes fondatrices en préservant leur identité à travers les communes déléguées.

Guillaume Wernert : Le département de la Manche présente un contexte particulièrement dynamique de restructurations communales, les élus sont très actifs sur ces sujets.
Ainsi, 36 communes nouvelles ont été créées dans le département au 1er janvier 2016, impliquant 85 communes.


« Nous étions dans une obligation de résultat au 1er janvier 2016 : nous n'avions pas le droit à l'erreur. »

C-L : Entre l'entrée en vigueur de la loi (mars 2015) et la naissance officielle de Cherbourg-en-Cotentin (1er janvier 2016), le calendrier était très resserré. Sur quel planning avez-vous travaillé ?

Franck Duval : En avril-mai 2015, à la demande des cinq maires et du président de la communauté urbaine, les communes et la CUC ont commencé à travailler ensemble, afin de préparer une grande concertation avec la population au mois de juin 2015 sur l’opportunité de créer la commune nouvelle. La CUC et les cinq communes fondatrices ont délibéré officiellement les 7 et 8 septembre 2015, actant ainsi la volonté de créer Cherbourg-en-Cotentin.
Dès lors, avec un tel calendrier, nous étions dans une obligation de résultat au 1er janvier 2016 : nous n'avions pas le droit à l'erreur !

Laure Letouzé : Les réunions préparatoires internes à la trésorerie ont commencé fin mai 2015. Nous avons ensuite participé aux réunions entre les ordonnateurs et les services de l'État, dont la première a eu lieu le 22 juin 2016.

Guillaume Wernert : La DDFiP a été contactée par la préfecture fin mai-début juin 2015 pour travailler sur le projet. Nous avons mis en place un cycle de réunions techniques, par visioconférence et en présentiel, de juillet à novembre 2015.


« Le département avait vu son nombre d'EPCI passer de 48 à 27 en l'espace de deux ans. »

C-L : Sur quelle expertise avez-vous pu compter ?

Franck Duval : Nous nous sommes beaucoup appuyés sur les services de l'État, qui nous ont accompagnés pendant tout le projet : préfecture et DDFiP, ainsi que notre comptable publique.
Côté DGFiP, nous avons sollicité son assistance dans la définition du budget de la nouvelle collectivité, et son assurance que le projet proposé cadrait bien avec les capacités d'intégration dans le système d'information Hélios. La problématique de la paie était également centrale : elle devait être opérationnelle au 1er janvier 2016.

Laure Letouzé : J'ai échangé avec d'autres comptables ayant géré ce type de projets, et je me suis également appuyée sur les informations données par la DDFiP, ainsi que par les services centraux de la DGFiP, pour assister les collectivités. En effet, dès le commencement des travaux, les ordonnateurs ont mis en place des comités de pilotage, auxquels nous avons été très régulièrement associés. Les ordonnateurs étaient très demandeurs de solutions concrètes, pratiques, pour leurs problématiques budgétaires et financières.

Guillaume Wernert : L'équipe DSPL (Division du Secteur Public Local) de la DDFiP avait déjà acquis une solide expérience technique, le département ayant vu son nombre d'EPCI passer de 48 à 27 en l'espace de deux ans seulement suite à la loi de Réforme des Collectivités Territoriales (RCT) de 2010.
Nous avons donc choisi de mettre en place des référents « métier » (gestion comptable et budgétaire, pilotage Hélios, fiscalité directe locale …) afin que les nouveaux projets puissent bénéficier de l'expertise capitalisée lors des expériences passées. La création de Cherbourg-en-Cotentin s'est appuyée sur cette expertise.


« Nous avons été confrontés à la problématique informatique, avec des niveaux de dématérialisation différents selon les collectivités. »

C-L : Quels types de difficultés avez-vous rencontrés ?

Franck Duval : L'interprétation de la loi peut s'avérer délicate pour réunir cinq grandes communes avec un nombre important de services. Nous nous sommes donc rapprochés des services de l'État, DGCL, DGFiP et préfecture, pour l'application de certaines règles.
Nous avons également eu une problématique informatique non négligeable, à propos du système d'information à adopter. C'est finalement le logiciel de Cherbourg-Octeville et de la CUC qui a été retenu, entraînant un besoin significatif en formation pour tous les agents des services financiers.

Laure Letouzé : Malgré notre travail d'anticipation, nous avons été confrontés à certaines difficultés que nous avons finalement pu dépasser, notamment sur le sujet du transfert de gestion entre trésoreries. En effet, à Cherbourg Municipale, nous avions déjà la charge des budgets de Cherbourg-Octeville et de la CUC ; mais les autres budgets de l'actuelle commune nouvelle étaient gérés par deux autres postes comptables.
Mes deux collègues et moi-même avons organisé des groupes de travail sur différents sujets sensibles, comme celui des régies. Nous avons opté pour une solution transitoire, en permettant temporairement aux régisseurs de déposer leurs fonds dans leur ancienne trésorerie.
Nous avons également été confrontés à la problématique informatique, avec des niveaux de dématérialisation différents selon les collectivités : certaines étaient en full démat', d'autres en simple PES V2 titres et mandats, ce qui rendait la gestion impossible sur le plan informatique. Nous avons donc harmonisé l'état de dématérialisation sur tout le nouveau budget.

Guillaume Wernert : Effectivement, l'un des premiers sujets abordés en réunion technique a été l'uniformisation des systèmes informatiques. Dans l'application Hélios, Cherbourg-en-Cotentin est devenue un budget-collectivité unique, là où il en existait six auparavant : l'application ne devait recevoir qu'un seul flux. Les collectivités ont donc travaillé avec leurs prestataires informatiques, en collaboration avec le référent Hélios de la DDFiP pour résoudre cette difficulté.


C-L : Avec un projet aussi structurant, vous avez été confrontés à la problématique de la conduite du changement. Quelles réorganisations, quelles restructurations avez-vous mis en place ?

Franck Duval : Les différents services financiers ne travaillaient que rarement ensemble, et se connaissaient mal. Du jour au lendemain, ils ont dû collaborer activement. Comme pour les ressources humaines et les systèmes d’informations, nous avons donc organisé, très en amont, la convergence de l'ensemble des services financiers des collectivités fondatrices, tant sur l'aspect géographique que sur l'aspect des méthodes de travail. Cela s'est fait de manière naturelle et rapide, d'autant plus que la contrainte du délai a poussé à dépasser la sectorisation et à être efficace très rapidement.
Un an après, les services financiers sont réunis dans le même bâtiment, avec des référents comptables placés auprès des communes déléguées.

Laure Letouzé : Avec l'arrivée de Cherbourg-en-Cotentin, le poste comptable est passé de 24 à 34 budgets-collectivités, suite à la reprise des budgets annexes des anciennes collectivités. Nous avons donc, mes adjoints et moi-même, réorganisé le poste en profondeur, en passant d'un fonctionnement par portefeuille de collectivités à une répartition par métier (pôle recette, dépense, comptabilité …).
Ce bouleversement dans nos méthodes de travail a suscité un travail et une communication approfondis en matière de gestion des ressources humaines.

Guillaume Wernert : Les collectivités concernées étaient gérées par trois trésoreries différentes. La trésorerie principale de Cherbourg Municipale est devenue assignataire de la commune nouvelle, ce qui a nécessité une restructuration des postes au niveau local.
Cette réorganisation a fortement sollicité les comptables, ainsi que le référent Hélios en DDFiP, pour la gestion des opérations techniques et informatiques.


« Nous avons accompli si ce n'est l'impossible, du moins de véritables prouesses ! »

C-L : Cherbourg-en-Cotentin soufflera bientôt sa première bougie. Quel bilan tirez-vous chacun de cette expérience ?

Franck Duval : Indéniablement, le bilan est positif. Nous avons été très satisfaits de la coopération menée avec les services de l'État, et a fortiori avec la DGFiP. Les liens se sont noués rapidement, et la compréhension a été mutuelle. Grâce à la forte implication de tous les acteurs, nous avons accompli si ce n'est l'impossible, du moins de véritables prouesses !
La création de Cherbourg-en-Cotentin est sans doute l'une des expériences les plus riches que j'ai pu vivre, en plus de 20 ans de carrière.

Laure Letouzé : Des ajustements sont toujours en cours, évidemment. Néanmoins, c'est un bilan positif que je porte sur le projet de commune nouvelle. Nous avons été en mesure de gérer et d'absorber tout l'aspect recette et dépense, et nous avons tenu les délais. Le pari a été tenu, grâce à une implication exceptionnelle de chacun.

Guillaume Wernert : Le bilan est très positif ici également. Grâce à la forte mobilisation de tous les acteurs (collectivités, comptable public, DDFiP, préfecture), la date du 1er janvier 2016 a été tenue sans dysfonctionnement majeur. Un exemple significatif est celui du traitement de la paie, qui était opérationnel dès janvier 2016 grâce à une anticipation suffisante. Cette réussite est l'expression de toute une expertise technique, et du dynamisme de nos équipes, qui se sont mobilisées de manière remarquable sur toute la durée du projet.


« Mener à bien un projet de cette envergure donne un signal très positif pour le déploiement d'autres opérations.»

C-L : Selon vous, cette expérience peut-elle avoir un impact sur de futurs projets ?

Franck Duval : Nous travaillons actuellement avec la DDFiP sur de nouveaux projets, dont celui de la création au 1er janvier 2017 de la Communauté d'Agglomération du Cotentin, un EPCI de très grande taille comptant 150 communes et plus de 180 000 habitants. Les relations déjà existantes entre nos services et ceux de la DGFiP (DDFiP et comptable) facilitent grandement les travaux. Les réponses aux problématiques techniques que nous avions abordées pour la création de Cherbourg-en-Cotentin sont en grande partie valables pour la CA. Nous gagnons ainsi beaucoup de temps !

Laure Letouzé : Les travaux sur la commune nouvelle ont clairement accentué les relations entre nos services et ceux de l'ordonnateur. Mener à bien un projet de cette envergure donne un signal très positif pour le déploiement d'autres opéations, grâce à l'expérience acquise et aux rapprochements qui se sont faits. Nous envisageons ainsi de manière plus sereine la perspective de la Communauté d'Agglomération du Cotentin.

Guillaume Wernert : Il est évident que mener à bien de tels projets facilite le contact avec les collectivités. Nous sommes prêts pour travailler sur le nouveau projet de communauté d'agglomération.


C-L : Une dernière question pour M. Duval : quelles sont, selon vous, les clés pour se lancer dans l'expérience de la commune nouvelle ?

Franck Duval : Tout d'abord, solliciter les services de l'État, les avoir avec soi dès que possible, est un élément déterminant dans la conduite du projet, face à l'ampleur de la tâche.
Ensuite, il est important de n'exclure personne du processus. Tout le monde a quelque chose à apporter, les plus petites collectivités comme les plus grandes. Il faut donc rester à l'écoute les uns des autres.
Enfin, il ne faut jamais oublier de donner du sens au projet. Opter pour un régime de commune nouvelle, ce ne peut pas être une simple question financière. C'est une réorganisation totale des collectivités et de leurs services publics, qui ne peut donc pas fonctionner sans mobilisation et sans vision commune.



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Directeurs de la publication :
DGFiP : Bruno Parent
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Contact : webmestre-colloc@dgfip.finances.gouv.fr

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